Ré-édition 2010 version re-masterisée
La sortie en mai 2010 d’une nouvelle version d’ « Exile On Main Street » a probablement été une bonne nouvelle pour les personnes qui « fétichisent » les albums de rock’n’roll comme s’il s’agissait de timbres postes[1]. Mais pour les autres, la réédition d' »Exile » n’est probablement pas un évènement si important. Après tout, il ne se passe pas une semaine sans qu’un album classique ou autre ne soit revendu au public dans un nouvel emballage élégant ou un coffret attractif. Non, ce qui a rendu la préparation de cette sortie beaucoup plus excitante et divertissante que celle d’une réédition d’album standard, c’est le fait qu’il y ait une histoire formidable avec des héros et des méchants nommés publiquement et aussi de nombreux fabuleux seconds rôles.
L’album a été réédité dans un coffret de luxe comprenant un CD remasterisé ainsi que d’un disque de 10 morceaux non publiés auparavant, certains avec des paroles et des voix nouvellement ajoutées. Les CDs sont accompagnés d’un livre de 64 pages et d’un DVD documentaire. Pour ceux qui voulaient revivre l’expérience d’« Exile » dans sa forme la plus pure, une version vinyle remastérisée de l’ancien LP à deux disques a également été proposée. « Si je me souviens bien de la façon dont cela fonctionnait », se rappelle Mick Jagger[2], « vous mettiez une face, puis vous alliez manger quelque chose, et ensuite vous mettiez une autre face ».
On pourrait sans problème rouvrir la discussion mais « Exile » est l’un des meilleurs albums de rock’n’roll de l’histoire : il est à la fois robuste, provocant, parfois dépressif, parfois exubérant et méchant. Aucun autre album ne s’approche de la synthèse idéale de blues, de country et de R&B du rock & roll, et aucun ne s’approche de son énergie grinçante. Parmi ceux des Beatles, des Beach Boys ou de Bob Dylan, « Exile » est probablement le plus récent et cela peut paraitre déprimant de penser que ce chef-d’œuvre de la musique est sorti la même année que la première calculatrice portable, comment doivent se sentir ses créateurs ? « Je trouve assez bluffant que des morceaux enregistrés dans les sous-sols de Nellcôte soient encore appréciés, si l’on songe à l’accueil plutôt mitigé quand l’album est sorti », raconte Keith[3]. « Si en 1971, j’avais écouté de la musique enregistrée quarante ans plus tôt, ça aurait été des trucs à peine audibles. Peut-être du Armstrong première période, du Jelly Roll Morton. Je suppose que si on intercale une guerre mondiale, ça change la perception ». Leur obsession pour « Exile » s’est terminée quand celle des autres a commencé, c’est-à-dire quand les derniers morceaux ont été mixés dans les Sunset Sound Studios début 1972. Il ne faut donc plus trop venir les chatouiller à propos de ce qu’ils pensent d’ «Exile » : ils ont déjà répondu à toutes les questions possibles des journalistes depuis près de 50 ans.
Mais les Stones sont bons joueurs : le label des Stones, Universal Music Group, a investi une fortune dans une entreprise manifestement rétrograde : celle de proposer une version 2010 re-masterisée d’«Exile ». Et les premiers mots qui sont sortis de la bouche de Keith sont : « Exile on fucking Main Street, pas vrai ? Je ne sais pas, sortir un vieux disque ? ». Et puis ils lui ont fait remarquer que c’était un album très intéressant, qui avait une sorte d’aura. Et maintenant qu’il l’a revisité, il semble plus affectueux que révérencieux. « Je veux dire, ce n’est pas comme si je ne l’avais jamais écouté depuis que nous l’avons enregistré, bien sûr », dit-il. « Mais en l’écoutant de bout en bout maintenant, je pense qu’il tient toujours la route. J’aime bien « Torn and Frayed ». J’adore « Sweet Virginia ». Et « All Down the Line » a été une tuerie pour moi, pour être capable de le faire ».
Mick Jagger en est parfaitement conscient et il a convenu avec le reste du groupe qu’ « Exile » était le bon choix pour une réédition éclatante, mais ne lui demandez pas d’expliquer pourquoi les fans et les critiques font une fixation sur ce disque : « Je suppose que ce sont des choses différentes pour des personnes différentes », dit-il. « Je ne sais pas pourquoi, vraiment. Ils aiment l’ampleur de l’album, les différents styles, les morceaux excentriques, le son brut et prêt à l’emploi. Qui sait, il y a beaucoup de choses que les gens aiment. Je pense que c’est un peu tentaculaire, de sorte que vous pouvez toujours trouver d’autres petites pépites que vous n’avez pas entendues, peut-être… ».
Mick Jagger reconnaît que fouiller dans la vieille musique et les vieux souvenirs « n’est pas ma de tasse de thé ». Pourtant, c’est lui qui a été le premier à parcourir la masse de matériel enregistré entre 1969 et 1972 à partir de laquelle l’album original avait été assemblé. Au début de ses recherches, il était vraiment persuadé que tous les morceaux écrits à cette époque figuraient déjà sur le double album, mais il a rapidement changé d’avis[4] : « Keith et moi l’avons écouté. Nous avons choisi des choses qui nous plaisaient plutôt. Puis j’ai commencé à faire mes propres recherches et j’ai découvert qu’un grand nombre de ces morceaux n’étaient pas du tout de la période de l’exile. Ils étaient soit antérieurs, soit postérieurs. Certains d’entre eux beaucoup plus récents[5].
Et c’est Mick qui a remis les disques durs contenant quelque 300 heures de musique à Don Was, le producteur des Stones depuis 1993. Don Was déclare : « Heureusement, ce n’était pas un travail qu’il attendait avec trop d’impatience. Il s’est même excusé de me l’avoir imposé. Les pistes instrumentales de base des 10 chansons qui se sont retrouvées sur le nouveau CD bonus étaient solides pour la plupart ». Keith Richards n’a dû passer qu’une heure environ à ajouter quelques guitares ici et là : « J’ai gratté un peu de guitare acoustique[6]« , dit-il. « Je ne me souviens même plus sur quelle chanson maintenant. La piste de guitare originale a en quelque sorte bégayé et s’est effondrée à mi-chemin, alors Don a dit : « Eh bien, nous ferions mieux de la remplacer ». « Mais c’est tout ce que j’ai fait » rassure Keith. Pour lui, le projet a fait ressurgir de bons souvenirs, notamment de ceux qui ont quitté les Stones depuis, comme Bill Wyman, et de ceux qui ont quitté cette vie, comme le grand pianiste Nicky Hopkins. « Entendre le piano de Nicky Hopkins sur ‘Sophia Loren’ était un trésor », dit-il doucement. « Et Bill est solide comme un roc, mec. Quel bassiste ! En fait, il m’impressionne de plus en plus, en écoutant ça. On peut s’habituer à un type, mais en le réécoutant, en repensant à tout ça pour faire ce disque, je me disais : « Bon sang, il est meilleur que je ne le pensais ! ». » Cinq chansons (plus un court instrumental) n’avaient jamais été accompagnées de voix, ni même de paroles. Et par conséquent Mick Jagger s’est attelé à finir le travail. « J’ai écouté un peu l’album original et j’ai repris la même attitude. Je ne sais pas si ça leur enlève quelque chose ou pas. Je veux dire, j’aurais pu vous mentir, vous m’auriez totalement cru ».
L’ingénieur du son Bob Clearmountain, qui a mixé les nouveaux morceaux, a légèrement modifié la voix de Jagger pour essayer de la faire ressembler davantage à ce qu’elle était il y a 30 ans, et il faut être un auditeur attentif – Charlie Watts, par exemple – pour déceler un resserrement de la voix et un timbre plus fin et plus tranchant que celui qu’il avait à 20 ans. « Ma seule critique à l’égard des nouvelles versions est que la voix semble avoir été faite hier », dit Charlie Watts. « C’est inévitable. Mais je pense que Mick les aime bien. Il était plutôt content quand il me les a données. Ça a dû lui plaire ».
Mick, Don et Bob ont essayé de garder les pistes nouvellement terminées aussi fidèles que possible du son distinctif, brut, créé par Andy Johns l’ingénieur du son, et par le producteur d’ « Exile », le regretté Jimmy Miller. Entre parenthèses, Miller lui-même n’aimait pas le son de la version originale, et Jagger a également exprimé son mécontentement. À l’exception de quelques choristes et d’une section de cordes à six violons sur « Following the River », ils n’ont fait appel à aucun musicien n’ayant pas participé aux sessions originales. Pour le morceau, « Plundered My Soul », Jagger a fait venir Mick Taylor dans un studio londonien pendant quelques heures à l’automne 2009 pour mettre en place « ces partitions typiques du génie de Mick Taylor ».
Was et Clearmountain ont même gardé le même placement des instruments dans la balance gauche-droite. « Si le piano est à un certain endroit sur « Exile », il est au même endroit maintenant », dit Was. « Nous n’avons pas essayé de réécrire l’histoire sur ce point ». Les puristes trouveront ces morceaux moins convaincants que ceux qui ont été réellement terminés à l’époque – notamment une version 1969 plus lente, plus hirsute et plus sincère de « Loving Cup » de l’« Exile » orignal, avec la guitare de Richards à l’avant. Pendant le mixage de ce morceau, Clearmountain a été tenté de faire appel à la technologie : « Je me suis dit que je pourrais mettre ce piano un peu plus dans le temps. Mais nous l’avons laissé tel quel ». Was préfère ce « Loving Cup » à la version beaucoup plus soignée de l’album original. Jagger pense-t-il toujours qu’ils ont fait le bon choix à l’époque ? « Je ne sais pas. Je ne sais pas s’il y a un bon et un mauvais choix après un certain temps. L’original me semble très bien », raconte-t-il.
Et Keith, toujours prêt à citer une métaphore, affirme que le principe directeur derrière le remaniement des extraits était « de ne pas repeindre le sourire de « Mona Lisa ». C’est un travail unique, fait dans un endroit unique, et il doit sonner comme tel ». Certaines des chansons qui se sont retrouvées sur la version originale d’Exile, comme « Shine a Light », « Sweet Virginia » et « Stop Breaking Down », avaient été enregistrées aux Olympic Sound Studios de Londres, lors des sessions des albums précédents des Stones, « Let It Bleed » et « Sticky Fingers ». Parc contre, les Stones ont enregistré les pistes de base des chansons qui définissent le mieux « Exile » – « Tumbling Dice », « Happy », « Rocks Off » à Nellcôte. Si « Exile » est toujours un disque pour lequel il est difficile de se motiver – Don Was l’admet : « jusqu’à aujourd’hui, il est beaucoup plus facile de mettre « Let It Bleed » sur sa platine qu’«Exile ». Cela a peut-être à voir avec les circonstances dans lesquelles « Exile » a été enregistré ». Keith Richards parle aujourd’hui de la période Nellcôte comme « d’une lutte pour que le groupe reste en vie », et il ne fait aucun doute que les Stones ont laissé les misères et les angoisses individuelles et collectives qu’ils traversaient, se répercuter sur les morceaux de ce superbe album.
Mais ces dizaines de bobines audios sorties du vaste entrepôt des Stones rappelle à Don Was « la pièce à la fin des Aventuriers de l’Arche perdue ». D’après les estimations de Jagger, 10 des 18 morceaux de base d’Exile sont issus des cinq mois de siège à Nellcôte : cela représente un gardien absolu toutes les deux semaines. Alors, qu’avez-vous fait au cours des deux dernières semaines ?
Certains des morceaux qui ont été piratés, sur des sorties underground comme « Taxile on Main Street »[7], suggèrent que les Stones n’ont pas toujours été aussi bons. Lorsqu’ils n’atteignaient pas leur point fort, ils pouvaient ressembler à une bande d’incapables jouant dans la cave de quelqu’un. Il devait y avoir des heures et des heures, des jours et des jours d’ennui et de désespoir. Mais apparemment, c’est ainsi qu’ils devaient travailler : en cherchant la magie dans le noir. Les Stones ont-ils passé trop de temps à Nellcôte à se défoncer et à lézarder ? Qu’est-ce que c’est, trop ? Et à qui appartenait ce temps ? En fin de compte, cela ne nous a jamais regardé….
De plus, pour un album qui est censé être « l’album de Keith »1, la contribution de Mick à « Exile… » est plus qu’excellente. Oui, Keith était le chef de file à Nellcôte, et oui, Mick n’était pas souvent là, parce que sa femme était enceinte et qu’il ne pouvait pas s’occuper d’un tas d’hommes et de femmes drogués qui allaient et venaient. Mais quand les pistes de base ont été apportées à Los Angeles pour être terminées ? C’est lui qui s’est empressé de trouver les meilleures personnes pour faire des overdub sur le disque. Comme il l’a dit lui-même en 2003 : « À l’époque, Jimmy Miller ne fonctionnait pas correctement. J’ai dû terminer tout le disque moi-même, parce que sinon il n’y avait que des ivrognes et des junkies. J’étais à Los Angeles pour essayer de finir le disque, avec une date limite à respecter. C’était une blague. »
A propos des dix morceaux non publiés en 1972, on constate de prime abord que l’absence de Mick dans les sous-sols de Nellcôte a été à l’origine de quelques morceaux instrumentaux qui ne demandaient que des paroles pour finir éventuellement sur l’album original de 1972. Il a fallu attendre 38 ans pour les faire revivre :
« Pass The Wine (Sophia Loren) » [8]semble appartenir à une autre époque et à un autre lieu, peut-être Los Angeles, car il s’agit d’un morceau funky et latino avec un piano Fender Rhodes et un chœur féminin roucoulant. L’un des plaisirs du disque bonus d’ « Exile » est son titre, très apprécié dans l’histoire des « bootlegs » mais jamais entendu auparavant et intitulé « Sophia Loren ». Don Was, réfléchissant à cette sortie, a déclaré : « c’était une joie de le trouver ». La reprise par Mick Jagger et Don Was est un vrai point fort, l’original étant évidemment centré sur les bases du piano et du saxophone de Nellcôte. Il y a un groove calypso, et les voix nouvellement enregistrées ne font pas référence à Sophia Loren, si ce n’est que Mick rêve « So pass me the wine, baby, and let’s make some love ». Sophia était une personne très désirable, bien connue dans le monde entier, mais surtout sur la Riviera française et italienne. Mick a déclaré que le montage original était très long et qu’il a dû être ramené à son format de cinq minutes sous le titre « Pass The Wine ». En plus de la voix et de l’harmonica de Mick, qui sont nettement modernes, Lisa Fischer et Cindy Mizelle ont ajouté des chœurs à l’époque. Cindy n’avait jamais été enregistrée dans le studio des Stones auparavant, mais avait participé en tant que choriste à la tournée « Steel Wheels ». Mick Taylor joue de superbes notes à la BB King et Nicky Hopkins et lui ont tous deux contribué à la chanson, en jouant les notes de manière économique.
« Plundered My Soul » est l’histoire d’un ressentiment[9]: un ex-amant avoue être un mauvais perdant, mais c’est parce que la femme qu’il aimait lui a volé son cœur. C’est la chanson d’un amour blessé. La chanson a le même tempo et les mêmes structures d’accords que « Tumbling Dice », mais sans accroche convaincante, et sonne comme s’il avait été remis au goût du jour. La chanson de départ contient la partie rythmique de Keith et de Bill, la batterie de Charlie et le piano de Nicky Hopkins. Elle a été rafraichie grâce aux « overdub » vocaux de Mick Jagger, de Mick Taylor à la guitare et de de la merveilleuse voix de Lisa Fisher aux backing vocals. « Plundered My Soul » est né dans les caves de Nellcôte. Mick Taylor[10] raconte : « Sur cette chanson en particulier il n’y avait pas de voix et il n’y avait pas de « lead guitar » non plus. Si bien que Mick m’a demandé de venir en studio un après-midi et j’ai mis de la guitare sur trois ou quatre pistes. Je me suis dit que cela sonnait bien ». La voix de Mick Jagger est donc toute neuve, mais ce texte est extrêmement démodé. Il gémit « I do miss your quick repartee » (votre répartie rapide me manque) sur des guitares qui pourraient vous donner des problèmes digestifs[11]. Malgré le saxophone de Bobby Keys, une guitare ajoutée par Mick, il manque quelque chose à ce morceau. Le morceau aurait dû être mixé et terminé aux Sunset Sound Studio en 1971. « Plundered My Soul » sort en single, mais en édition limitée le 17 avril 2010, avec « All Down The Line » en face B accompagnée d’une vidéo réalisée par le Suédois Jonas Odell. C’est le premier single des Stones depuis 4 ans[12]. Il connait un succès très modeste en Grande-Bretagne. A noter que deux versions mixées[13] différentes existent, celle sortie en single et celle de l’album, ou bien s’agit-il d’une erreur ?
« I’m Not Signifying » est né dans la sérénité du manoir de Stargroves sous le titre de « Ain’t Gonna Lie, I Ain’t Signifying, Mean Woman Blues, I Ain’t Lying » et retravaillé à Nellcôte avant de tomber aux oubliettes. C’est un blues lent et sale avec Jagger délivrant des lignes marmonnées à propos de « perles de cimetière » avec un accent du Sud nasal outrageux et se demandant « as-tu jamais eu le sentiment, bébé, que tu es déjà venue ici avant ? Une guitare étrangement brillante suggère qu’elle a été retouchée. En ce qui concerne le chant de Jagger, nous savons qu’il avait tendance à cabotiner sur des chansons country comme « Sweet Virginia » – Mick n’a jamais partagé l’estime de Keith pour George Jones et Merle Haggard. Il existe plusieurs versions de cette chanson, dont une sans harmonica ainsi que celle au piano de Nicky Hopkins. Cette dernière se retrouve sur le CD-Bonus de 2010. Comme le souligne Keith3, « d’autres enregistrements de l’expérience des sous-sols de Nellcôte existent comme « Head In The Toilet Blues », « Labour Pains » et « Pomme De Terre »…
« Following The River », une chanson de rupture dont le piano lent et balayé rappelle « Wild Horses ». Pour Don Was, « Following The River » était l’un des morceaux essentiels à retravailler pour la réédition, mais c’était aussi celui qui était le plus incomplet. Il s’agissait principalement d’un beau refrain au piano, typique de Nicky Hopkins. Il n’y avait pas de ligne mélodique ni de paroles et il a fallu raccourcir la ballade au piano de six minutes et la mélanger avec une autre version très brève pour donner la base de la nouvelle chanson. C’est sur ce morceau que Mick Jagger a travaillé et il y a donc une différence de 38 ans dans le style et les voix, les harmonies de soutien, les percussions et les cordes qui ont été superposées. « Je suis parti de rien avec ça. La bande principale était le piano, la batterie, la basse et la guitare. Il n’y avait pas de ligne de tête ou de paroles. Je suis parti de rien – je veux dire, c’est ce que je fais, et je l’ai fait de nombreuses fois auparavant. Et c’est intimidant au début, mais au bout d’un moment, on s’y fait », raconte Mick5. Lors du mixage des nouvelles chansons, il était important pour Don Was de garder tous les instruments tels quels dans les canaux gauche ou droit, afin que le tout soit cohérent avec l’album original. « Following The River » était presque un éloge pensif de Nellcôte et de la façon dont les choses étaient autrefois : « Il y a eu d’autres personnes dans cette pièce avec moi, nous sommes vraiment une foule » mais il n’y avait aucune présence de Mick chantant des paroles qui appartenaient au passé. Don Was était fier du résultat global et se voyait comme le conducteur désigné du rôle de Jimmy Miller en son absence. Une vidéo[14] a été réalisée pour promouvoir la chanson, il n’y a finalement jamais de sortie officielle du single autre qu’une version « promo ». La vidéo a été réalisée par Julian Gibbs et Julian House. Elle parle d’un voyage évocateur par la route et le rail, de Chicago aux champs de coton du Sud et de l’estuaire du Mississipi. Elle utilise des images de vieux films qui sont composées et colorisées à la main.
« Dancing In The Light », est à nouvelle fois une chanson rescapée de l’exile de Nellcôte qui a également l’air d’un original non corrigé. Le « bootleg » instrumental original de « Dancing In The Light » a été proposé par Don Was comme un titre potentiel à travailler pour le projet. Mick Jagger était essentiellement le producteur exécutif et le décideur pour le projet de bonus. Il a ajouté des paroles au morceau et a enregistré tardivement sa voix. Le résultat est une tentative significative de produire quelque chose qui tienne la route. Le morceau original comportait Ian Stewart aux claviers ainsi que les guitares de Mick Taylor et de Keith Richards. La chanson originale avait un riff qui devait lutter pour s’exprimer, tandis que la slide jouée avec une touche country chevauchait le tout. Jimmy Miller y joue de la percussion. Après les premières notes de guitares, les nouvelles tonalités de chant vous sautent immédiatement aux yeux, mais la voix est distinctement celle d’un Mick récent, plutôt qu’ancien. Une fois qu’on l’accepte cela, le morceau devient agréable mais c’est assez faiblard, tout comme l’extrait original. Les nouvelles paroles correspondent au titre de l’extrait et parlent d’un amour perdu. « Assis-là dans l’obscurité, tu danses dans la lumière. Tu as vraiment touché le gros lot, j’ai vraiment fait un plongeon ». En remixant le « master » pour sa réédition, Don Was a senti que la guitare basse avait besoin d’être étoffée. Il a donc branché une guitare basse mais il n’y avait aucun moyen de suivre le modèle de notes et le style de Bill, qui était unique. Bref, c’est un morceau presque jovial avec beaucoup de guitares piquantes, mais il n’a pas la qualité qui lui aurait permis de trouver une place dans le montage final d’ « Exile ».
“So Divine Aladdin Story », un cousin de « Paint It, Black » et l’une des chansons de dénigrement de Jagger (« You think your love is all I crave/But I have better things to do than be your slave »). La piste instrumentale, d’abord connue sous le nom de « Aladdin Stomp », et apparemment mentionnée comme telle dans les archives d’ABKCO, a été mise en vente sous le nom de « Aladdin story ». Elle a été retravaillée en 1970 mais reprise pour la réédition « Exile » en 2010, où elle est apparue sans aucune mention d’Aladdin mais avec « Aladdin Story » inclus entre parenthèses dans le titre de la chanson. Cette chanson a d’ailleurs probablement échappé à l’escarcelle à royalties dues à Allen Klein. La piste d’accompagnement instrumentale n’a pas été modifiée pour la sortie de la chanson, mais les paroles ont été écrites, « overdubées » par Mick Jagger. Le riff principal est dû à Bobby Keys au saxophone dont le style est très proche du soft rock. Il y avait également une partition de guitare principale enregistrée et ajoutée par Keith Richards au One East Studio en 2009. En 1999, un groupe électronique britannique, « Death In Vegas »10, en a enregistré une version assez fidèle comprenant un texte de deux lignes sur leur album « The Contino Sessions ». Cette chanson, contrairement aux autres figurant sur le CD-Bonus n’a pas été enregistré à Nellcôte mais aux Olympic Sound Studio de Londres.
« Loving Cup » est proposé avec les mêmes paroles, mais avec un ton plus langoureux, et plus country. C’est la version « alternate take » qui a été reprise et remixée en 2009. Les paroles floues de la fin de la chanson y ont été supprimées. Le morceau est coupé aux alentours des deux minutes et intercalés avec les paroles de « what a beautiful buzz ». Le résultat est une chanson plus lente et plus axée sur la guitare que la version officielle. La rythmique de Mick Taylor est beaucoup plus prononcée, tandis que la guitare de Keith Richards ressort à l’avant du mixage. Bob Clearmountain a probablement été tenté de modifier le timing du piano mais l’a finalement laissé tel quel.
Cette version de « Soul Survivor » sur le CD bonus supprime les voix de Mick Jagger et les voix d’accompagnement, ce qui suggère qu’il s’agit d’une version originale de Keith Richards. À la place, Keith chante ses propres paroles et, à la fin, ajoute même « etcetera ». Il y a des parties de guitares alternatives et aussi un accompagnement de cuivre qui diffère de la version publiée en 1972. Don Was a pensé qu’elle était suffisamment inhabituelle pour être placée sur la nouvelle version en 2009 et il avait raison. Le son de la batterie capturé à Nellcôte par Jimmy Miller était essentiel pour lui en tant que percussionniste et pour le sentiment général. Mick Jagger a estimé que le son de batterie créé était excellent après que le kit de Charlie Watts ait été déplacé d’une pièce à l’autre pour obtenir le meilleur son, Ian Stewart ayant posé de la moquette sur les murs de certaines pièces pour éviter les échos. Il est probable que « Soul Survivor » soit le point culminant[15], avec la voix de Keith, d’ un braillement enragé, comme si le guitariste venait de se lever après avoir été violemment battu. Ce serait sympa d’entendre un débat entre Mick et Keith à propos de la version la plus intéressante.
« Good Time Women » – une version précoce de « Tumbling Dice » – est typique du processus créatif des Stones, étant un exercice de routine de Chuck Berry5 avant que Jagger n’écrive des paroles correctes et que le refrain féminin ne soit ajouté à ce qui est devenu le seul single à succès d’ « Exile ».
« Title 5 ». Un roulement de tambour, puis Glyn Johns annonce : « Titre 5 prise 1 ». Il démarre avec un son de guitare distinct, presque comme un effet de vibrato de guimbarde à travers un amplificateur Vox. Le style de la chanson est similaire à « Title 15″ qui était un « outtake » de l’ère satanique. Il s’agit d’un autre instrumental avec seulement une batterie, une basse et des guitares, à ne pas confondre avec le même titre alternatif de « Jumpin’ Jack Flash ». Le morceau progresse sur un riff peu sophistiqué et se termine par un feedback de guitare. L’époque10 de ce morceau de deux minutes n’est pas évidente à déterminer, et il sonne comme le reste des morceaux inclus dans les extras de la réédition d' »Exile ». Il s’agit peut-être d’un morceau datant de 1966, ou plus probablement de la période « Satanic ». Il se trouve à la fin du bonus track parmi d’autres « outtakes » de 1970 qui n’ont subi aucune modification ou ajout. Ce morceau a été bien accueilli, car il n’avait jamais été entendu auparavant. « Title 5 » aurait été enregistré à l’origine entre juillet et septembre 1967 en même temps que « Title 15 ». Il existe deux versions instrumentales de « Title 15 ». La première est constituée d’une guitare rythmique purement électrique avec une batterie légère en arrière-plan, tandis que l’autre comprend une deuxième guitare principale. Elle contient quelques riffs mémorables, peut-être mis de côté par Keith et recyclés dans des parties de « Honky Tonk Women » et « Luxury ».
Et pour terminer, voici une version « électrique » de « All Down The Line », disponible uniquement sur la version japonaise du CD bonus[16]. Mais les collectionneurs ont dû faire vite pour se procurer ce téléchargement gratuit sur Internet, disponible uniquement sur amazon.co.uk, car il n’a duré qu’une semaine. Sinon, ils pouvaient acheter la version japonaise de la réédition de l’album « Exile » contenant ce morceau. Elle n’avait jamais été entendue auparavant et comportait des paroles inachevées très différentes avec des voix criées. Le style de la chanson était presque country, avec des guitares qui se frayaient un chemin plutôt que de glisser et un piano très présent.
[1] “Exile On Main Street’ Is Beautiful And Visceral – But It’s Not ‘Keith’s Album” – NME – Hamish MacBain – 17/05/2010
[2] « The Rolling Stones: Torn and Frayed in the South of France” – Rolling Stone Magazine – David Gates – 27/5/2010
[3] “Life” – Keith Richards et James Fox– Robert Laffont – 2010
[4] “Unearthed Rolling Stones Songs Debut on “Exile on Main Street” Reissue” – Rolling Stone – 25/02/2010
[5] “The Secrets Behind the Rolling Stones’ “Exile on Main Street” Reissue” – Rolling Stone – Andy Greene – 09/03/2010
[6] “Keith Richards Discusses the Making of The Rolling Stones’ ‘Exile on Main St.’” – Guitar World – Alan di Perna – 18/12/2014
[7] https://www.discogs.com/fr/release/1826762-Rolling-Stones-Taxile-On-Main-St-Tax-Exiles-On-Main-Road
[8] « The Rolling Stones – Exile On Main Street (Deluxe Edition) – Their legendary album, plus 10 tracks of outtakes and ‘refreshed’ material” – Uncut – 17/05/2010
[9] « Rolling Stones – La Totale » – Philippe Margotin et Jean-Michel Guesdon – Chêne E/P/A – Hachette Livre – 2016
[10] “Interview: Former Rolling Stones Guitarist Mick Taylor Discusses Gear, Bluesbreakers, Iridium and The Stones” – Guitar World – Damian Fanelli – 03/05/2012
[11] « The Rolling Stones – « Plundered My Soul » – Rolling Stone Reviews – Rob Sheffield – 17/04/2010
[12] “Rolling Stones Plan “Plundered My Soul” Single for Record Store Day” – Rolling Stone – Daniel Kreps – 07/04/2010
[13] « The Rolling Stones – Complete Recording Sessions 1962-2012 – Martin Elliot – 2012 – Cherry Red Books
[14] https://www.imdb.com/title/tt8797830/
[15] « Exile on Main Street: Deluxe Edition » – Rolling Stone – David Fricke – 18/05/2010