Le mariage de Mick avec Bianca

Mick Jagger découvre la beauté nicaraguayenne de Bianca, grâce à Donald Cammell, le petit ami du mannequin Deborah Dixon, une connaissance d’Anita Pallenberg, au cours d’un concert des Stones à Paris le 23 septembre 1970. Donald Cammell pousse Mick et Bianca dans les bras l’un de l’autre en insistant qu’« ils sont faits l’un pour l’autre »[1]. D’une intelligence vive et d’un physique ravageur, Bianca ressemble très fort à Mick, mais au début, Bianca n’en est pas vraiment consciente : «je n’étais pas attiré par Mick pour des raisons physiques. Je le trouvais timide, vulnérable, humain, l’opposé de tout ce que j’avais pu imaginer. Cela peut paraitre stupide mais c’était comme un éclair ». Bianca est sortie auparavant avec d’autres hommes comme l’acteur britannique Michael Caine, un homme qu’elle qualifie de méchant, superficiel et qui la traite comme sa geisha. Caine dit d’elle qu’elle est très différente de toutes les femmes qu’il a rencontrées précédemment : « elle est comme une jeune panthère qui a besoin d’aide ». Après sa rupture avec Michael Caine, elle rencontre Eddie Barclay à Paris. Elle reconnait qu’en tombant amoureux de lui, qui était marié et bien plus âgée qu’elle, elle est à la recherche de quelqu’un de paternel. Bianca restera un mystère pour la plupart des gens qui l’ont connue, même pour ses plus proches amis. Personne ne sait d’où elle vient, même pas Mick.

Tout comme Anita Pallenberg la compagne de Keith, Bianca est bien au-dessus des groupies habituelles et des « baiseurs de stars » qui pullulent sur la scène rock. En entrant dans l’univers des Rolling Stones, Bianca va devoir affronter un adversaire de taille en la personne d’Anita Pallenberg, la compagne de Keith. Anita n’apprécie pas du tout le nouvel amour de Mick. Avec Marianne Faithfull, l’ex de Mick, Anita a plus d’influence que jamais au sein des Stones. En vertu de son « mariage de fait » avec Richards et de ses liaisons passées avec Brian Jones et Mick, Anita règne sur la cour des Stones comme une impératrice douairière.  La situation va quelque peu se rééquilibrer avec l’arrivée de Bianca. Elle est enceinte lorsque les Stones débarquent dans le Sud de la France, mais ce n’est pas la raison principale pour laquelle Mick et Bianca pourraient se marier. Malgré son éduction très catholique, Bianca ne semble pas encore prête à s’engager[2]. Elle accepterait d’avoir un enfant avec Mick Jagger sans être mariée avec lui. C’est Mick qui insiste et qui semble encore affecté par sa rupture avec Marianne et par la vie de famille qu’il vivait avec elle et son fils Nicholas. Mick[3] devra s’y reprendre à plusieurs reprises: « J’ai toujours eu ma propre identité, lui dit-elle. Je ne veux pas passer ma vie dans l’ombre de Mick Jagger ». 

Bien que Mick ait tout fait dans la discrétion, la presse internationale est mise dans le secret dès la première heure. De nombreux journalistes des tabloïds anglais descendent en masse dans le Sud de la France pour couvrir l’évènement. Le journal anglais « Daily Mirror »[4] titre le 15 avril, soit près d’un mois avant le mariage que « Mick Jagger dîne dans un style inhabituellement conventionnel avec la mondaine Bianca Perez Morena de Macias. Tout porte à croire que le couple a l’intention de se marier très prochainement. Jagger, 26 ans, ne dit pas grand-chose. A l’hôtel Byblos, l’endroit le plus branché de la ville, il a avoué hier : c’est vrai que je vois cette fille depuis un certain temps. Mais je ne suis pas le genre de type à faire un gros effort pour annoncer un rendez-vous, n’est-ce pas ? ». A peine trois jours plus tard Mick et Bianca sont à nouveau repéré par la presse, alors qu’ils sortent d’une boutique Yves Saint Laurent de Saint-Tropez. Pour l’anniversaire de Bianca, le 2 mai, Mick se rend de Nice à Paris pour lui acheter un bracelet d’une valeur de £ 4.0002. A peine quelques jours plus tard il s’y rend à nouveau pour aller chercher les deux bagues de mariage.

Le 7 mai, le « Daily Mirror» revient sur les rumeurs de mariage : « la pop star Mick Jagger et sa belle compagne sud-américaine planifient un mariage secret en France. Ils ont eu recours à une dispense spéciale afin d’éviter que les bans ne soient officiellement publiés, ce qui permettrait à la cérémonie de se dérouler sans que personne ne soit au courant, sauf les autorités locales. Jagger s’est rendu hier devant un haut magistrat à Draguignan, dans le sud de la France, pour présenter sa demande. Il y a seulement deux jours, Bianca a dit : « Il n’y aura pas de mariage cette semaine, ni la semaine prochaine, ni jamais ». Mick et moi sommes très heureux ensemble. Nous n’avons pas besoin de nous marier. Pourquoi le ferions-nous? »

Le 10 mai, Mick Jagger appelle Shirley Arnold pour l’informer qu’il compte épouser Bianca le surlendemain à Saint-Tropez. Mick obtient sa licence de mariage, sans publication de bans. La date est fixée au 12[5]. Mick a pourtant déclaré plus d’une fois qu’il ne se marierait jamais. Il a déjà retardé l’annonce de son mariage avec Bianca. Il renonce donc à une génération qui a été si longtemps en opposition avec les règles établies, en rentrant dans le rang. Ce mariage va finir par creuser un peu plus le fossé qui sépare Mick avec Keith après leurs infidélités réciproques. Tout le monde a encore à l’esprit les souvenirs de ce que Yoko Ono avait fait à John Lennon et aux Beatles. Le chef des Rolling Stones va-t-il reproduire le même genre de scénario en épousant Bianca ? «Le jour où les Stones se sont arrêtés de rouler » titre Richard Neville[6], dans la revue Oz.

Mick est tout excité lorsqu’il appelle ses parents à Dartford pour les inviter à son mariage : « il faut que vous veniez. J’air réservé une suite pour vous à notre hôtel de Saint-Tropez ». A l’autre bout du fil Eva Jagger pleure de bonheur à l’idée que son fils va se marier. Puis il rajoute : « juste une chose, ne parlez à personne du mariage. On essaie de garder cela vraiment secret ». Mick attend également le plus tard possible avant de l’annoncer aux autres membres des Stones qu’il a tellement critiqués lorsqu’ils se sont eux-mêmes mariés. Il ne prévient Bill et Astrid que la vieille de la cérémonie. Bill Wyman[7] raconte : « On savait qu’ils allaient se marier. On connaissait la date et on se disait que cela aurait lieu un samedi et Mick ne nous en a pas parlé. On devrait lui acheter un cadeau de mariage. Mick m’a appelé la veille du mariage et m’a dit : « salut Bill. Je t’invite à notre réception de mariage ». Je l’ai remercié mais c’était bizarre ». Au départ, Mick voulait que seuls ses amis proches soient présents à la cérémonie : Keith, Chris, son frère, Roger Vadim et Nathalie Delon. Bianca, de son côté, voulait faire une grande fête.

Paradoxalement, Mick appelle son bureau londonien depuis Saint-Tropez pour inviter d’autres amis et faire affréter un avion de Londres, un Dan-Air Comet, soit 75 personnes.  Il précise à Shirley Arnold : « mais ne leur dit pas que je me marie[8]». Parmi les invités il y a ses parents Joe et Eva, Paul et Linda McCartney, Ringo et Maureen Starr, Roger Vadim, Nathalie Delon, Eric Clapton et sa petit amie Alice Ormsby-Gore, Christopher Gibbs, Doris Troy, Ronnie Lane, David Lindley, Pete Townshend, Ian MacLaglan, John Walker, Kenney Jones  et Ronnie Wood des Faces, Ossie Clark, Marshall Chess, Jimmy Miller, Andy Johns, Nicky Hopkins et son épouse Dolly[9], Keith Moon, Lord Litchfield, Les Perrin, l’attaché de presse du group et son épouse Janey, Terry Reid, Stephen Still et PP Arnold, une ex-Ikette. Seul William Burroughs aurait décliné l’invitation sous prétexte qu’on lui aurait demandé une participation financière de £50, ce qu’il jugeait totalement déplacé, étant donné les circonstances. « Nous nous sommes tous retrouvés dans l’avion. Si l’avion s’était crashé, il n’y aurait plus eu d’industrie du disque. Il y avait Paul et Ringo, assis chacun a une extrémité de l’appareil car ils ne se parlaient pas à ce moment-là », dira plus tard Anna Menziès, du bureau des Stones, responsable de la réservation des billets. « Dans l’avion tous les musiciens fument des joints même pour un trajet aussi court », déclare Janey, l’épouse de Les Perrin, « j’étais folle d’inquiétude ». La presse assiégeait l’aéroport et interviewait tout ce qui bougeait. Dominique Tarlé s’en rappelle : « les invités sont venus des quatre coins du monde. Certains devaient déjà repartir le lendemain, en tournée ou enregistrer un album, mais d’autres n’avaient rien prévu. Et comme d’habitude, tout le monde a atterri chez Keith. Dans le Sud, si on a de l’argent on peut obtenir tout ce qu’on veut. D’un côté il y avait Marseille, une ville bien connue pour ses activités illégales, et de l’autre, l’Italie et la Mafia. Il suffit d’associer les deux pour se faire une idée du tableau ».

Mick va se marier avec quelqu’un qui lui ressemble étrangement, ce que Marianne[10] ne manquera pas de faire remarquer : « en mai 1971, Mick a fini par succomber à son narcissisme et s’est marié avec…lui-même ! ». Keith ne pourra rien y faire, ni refuser de devenir son témoin de mariage, ni d’arriver à l’heure à la cérémonie avec les autres invités. Il a pourtant tenté d’échapper à son rôle en proposant à Bobby Keys, le saxophoniste des Stones de devenir témoin du mariage religieux à sa place. « Il y avait en fait deux cérémonies », se rappelle Bobby Keys[11]. « Je participais à la cérémonie civile, mais pas au mariage à l’église. Pour la cérémonie civile j’étais le témoin de Mick. Heureusement je n’avais pas à faire de discours. En principe j’aurais dû, mais personne ne me l’a demandé. La seule chose dont je me rappelle, c’est que j’étais assis à côté d’Ahmet Ertegun et que tout a commencé à dérailler avant même que la cérémonie ne commence ». 

Mick, qui se réclame de l’Église anglicane[12], a reçu une dispense de l’évêque de Fréjus mais il est forcé d’étudier le catéchisme pendant quatre semaines pour qu’il puisse épouser Bianca religieusement en l’église Sainte-Anne de Saint-Tropez, sous l’égide du père Lucien Baud. Celui-ci déclare[13] : « Il ne s’agit pas pour lui de devenir catholique romain, mais simplement de comprendre notre foi. C’est un homme très sérieux et intelligent. Il est anglican, bien sûr, mais je ne pense pas qu’il soit pratiquant. Il a un grand sens de la religion, ce garçon. Il a vraiment un sentiment pour elle ». Mick et Bianca ont trouvé ce lieu par hasard[14], une minuscule église perchée sur une colline surplombant la baie avec l’immense tapis d’azur que forme la Méditerranée.

Les mariés sont en retard à la cérémonie civile, Bianca et Mick s’étant disputés à propos du contrat de mariage qui oblige Bianca à renoncer à ses droits sur tous les biens de Mick en cas de divorce. Il lui aurait demandé de lire et d’approuver un document de 28 pages[15], n’a aucun intérêt à donner à Bianca un droit sur sa fortune, et sûrement pas à présent qu’il est en passe de gagner un million de dollars grâce à son exil fiscal. Bianca ne veut plus se marier mais Mick se fâche en craignant de se faire ridiculiser si le mariage devait être annulé en dernière minute. Il est 16h20 alors que le mariage était prévu à 16h. Mick exige que Les Perrin, l’attaché de presse des Stones se débarrasse à tout prix des intrus et des paparazzis.  Plus d’une centaine de photographes et reporters sont massés dans la salle de la mairie pour la cérémonie, à tel point que Mick refuse de se présenter devant le maire : « S’il doit y avoir toute cette foule, je ne vais pas me marier » déclare-t-il. « Je ne suis pas un bocal à poissons rouges et je ne suis pas le roi de France ». Lorsque ces mots de Mick font le tour de la salle, Ray Connolly, du London Evening Standard, en a presque ri : « S’il avait voulu un mariage tranquille, pourquoi diable l’avoir dit au monde si longtemps à l’avance ? » Le maire fait alors remarquer : « Si les mariés ne sont pas arrivés à 16h30, je m’en vais. Et il n’y aura pas de mariage ». Les Perrin demande à un journaliste anglais francophone de faire appel au commissaire de police Jean-Pierre Haramboure pour faire évacuer la salle. « Monsieur, vous êtes en France », explique le commissaire de police. Puis il rajoute : «et la loi veut que la cérémonie se déroule en public ». Perrin grimace. Le journaliste est prié de s’adresser à nouveau au maire : « Demandez-lui d’accorder un quart d’heure de plus à Mick et dites-lui que ce retard n’est pas un manque de courtoisie ». Le maire répond : « D’accord. Mais vous devez lui dire que s’il veut faire savoir à tout le monde qu’il se marie, il ne sert à rien de m’en vouloir si la mairie est pleine ».

Après que Bianca s’est mise à pleurer, Mick est forcé de demander aux photographes de prendre leurs clichés et de s’en aller, mais rien n’y fait : photographes, reporters et caméramen surexcités se bousculent dans une chaleur étouffante pour se disputer les bonnes places et capturer l’instant solennel. Le couple pénètre dans la salle de la mairie. Bianca porte un chapeau blanc à larges bords et malgré sa robe très décolletée et moulante, sa grossesse est indétectable. Mick est habillé d’un costume vert pâle et d’une chemise à fleur. Il semble très méfiant et mal à l’aise. Lorsque les futurs mariés sont dans la salle depuis un certain temps, Keith, le témoin de Mick finit par se montrer, vêtu d’un pantalon moulant en cuir tressé et d’un pull blanc sous une veste de combat verte. Il se fait empoigner par un policier. Habillé comme s’il allait monter sur scène, le flic ne l’a pas reconnu. Une fois à l’intérieur, Keith s’assied à côté d’Anita et de Marlon, d’Alain Delon, de Roger Vadim, tous deux amis de Bianca. Anita[16] : « Je me souviens que j’étais habillée en blanc, ce qui était une grosse erreur. Mais à l’époque, je ne connaissais pas grand-chose aux mariages. Quand je suis sortie de la voiture toute de blanc vêtue, les gens ont cru que j’étais la mariée jusqu’à ce que Bianca finisse par arriver. C’est une chose que j’ai apprise : on n’est pas censé porter du blanc à un mariage. »

La cérémonie dure à peine cinq minutes, puis le contrat de mariage est signé en présence d’Alan Dunn, l’assistant personnel de Mick Jagger. Mick signe le registre de mariage et épouse donc « Bianca Rose Perez-Mora » âgée de 26 ans qu’il a rencontré il y a 18 mois et qui s’était présenté à lui comme étant âgée de 21 ans. C’est une reine tueuse de premier ordre, superbe à regarder, impossible à contrôler, pas du tout intéressée par le monde du rock‘n’roll mais bien par toutes les mondanités que Mick a lui-même maitrisées depuis longtemps.

Alors que Mick, Marianne, Keith et Anita avaient passé des jours ensemble dans une collaboration harmonieuse[17], la présence de Bianca va les empêcher de passer le moindre moment qui ne soit pas interrompu ou déséquilibré par son attraction et ses caprices envers son Mick chéri. Selon plusieurs témoins, Keith essaie bien de sauver les apparences : « Au début je prenais Bianca pour une bimbo » déclare-t-il. « Elle était assez hautaine et cela ne la rendait pas sympathique, mais j’ai appris à l’apprécier et j’ai découvert que c’était une femme non seulement brillante mais surtout une forte tête, et ça, ça m’épate ». En réalité il ne la supporte pas non plus «Elle était vraiment, genre, totalement égocentrique, comme si elle venait chez moi et disparaissait dans la salle de bain pendant quatre heures pour se maquiller et ensuite prendre ces airs hautains et à peine parler à quelqu’un » se rappelle Anita. «Elle était toujours incroyablement distante et ne donnait jamais rien. Et Keith avait l’habitude de la critiquer. Quand elle était là, Mick ne descendait pas pour dîner et se cachait dans la salle de bain. L’atmosphère n’était vraiment pas bonne. Mick a changé depuis ce moment, car il était responsable d’elle. Et puis personne ne l’aimait dans le groupe, donc je suis sûr que c’était vraiment difficile pour elle d’essayer de s’intégrer et tout avec ce genre de vie. Et puis elle traînait toujours avec des gens beaucoup plus âgés, le Prince Rupert et les autres, et nous avions l’habitude de nous moquer de ces gens. Il y avait comme un énorme fossé ».

Après l’office du Maire Marius Estezan, tout le monde se rend à pied à l’église. En haut de la colline, l’abbé Lucien Baud est accompagné de Les Perrin qui a réussi à contrôler le nombre de personnes dans l’église en verrouillant la porte. Les jeunes mariés sont donc obligés de frapper à la porte pour y pénétrer à leur tour. C’est Lord Lichfield, un cousin de la reine Elizabeth II qui conduit la mariée vers l’autel, sur un fond de musique de « Love Story », une exigence de Bianca. Le père Lucien Baud, dérouté par le décolleté de Bianca réussit à célébrer le mariage en gardant ses valeurs religieuses intactes. Mick et Bianca quittent l’église en Bentley, la partie officielle étant terminée.

La fête peut commencer au café des Arts en présence de plus de deux cents invités, dont Brigitte Bardot. Bill Wyman, Charlie Watts, Mick Taylor et leurs compagnes Astrid, Shirley et Rose sont enfin conviés. Bianca a troqué son blanc virginal pour une robe de grand couturier moulante et un turban orné de bijoux. Elle éclipse encore une fois toutes les autres femmes présentes. Mick et elle prennent le temps de remercier Shirley Arnold d’avoir réussi à mener tous leurs invités britanniques à bon port. Puis Keith décide d’organiser une grande « jam » sur la petite estrade, ce qui ne devrait pas être trop compliqué étant le nombre de superstars du rock anglais présentes ce jour. Il ne faut pas trop pousser Mick pour qu’il monte sur la scène improvisée et se mette à chanter accompagné de Bobby Keys, de Stephen Stills, de la diva soul Doris Troy, de musiciens du groupe de Carlos Santana, et non pas par les Stones de seconde classe, ni par Keith qui s’endort dans son coin et qui manque la totalité du spectacle. Pour la première fois depuis que les Rolling Stones existent, la fête a lieu sans Keith Richards qui rate un « gig », celui du mariage de son meilleur ami et complice en crime musical, Michael Philip Jagger. Apparemment contrariée, Bianca rentre seule à l’hôtel Byblos. La fête, d’une extravagance extrême dure toute la nuit en présence des parents de Mick, Eva et Joe cherchant l’occasion de donner le cadeau de mariage à leur fils. A quatre heures du matin, le car arrive pour ramener le contingent londonien à l’aéroport pour un vol très matinal. Bianca est réveillée dans sa chambre située au 6ème étage de l’hôtel Byblos par Keith Moon qui se présente nu devant sa fenêtre. Keith porte une paire de lunettes fantaisie dont les globes oculaires rebondissent devant lui sur des ressorts. Il arbore un slip de femme sur la tête. Bianca dira plus tard de son mariage : « mon mariage s’est terminé le jour de mes noces ». L’acteur Michael Caine, l’ancien petit ami de Bianca commente également son mariage avec Mick : « j’ai vécu pas mal de temps avec Bianca. Nous avons beaucoup apprécié notre relation, mais j’ai été un peu inquiet d’apprendre qu’elle épousait Mick. Elle discute absolument tout jusqu’à ce qu’on ait l’impression de devenir fou. Je suis sûr qu’ils sont déjà comme chien et chat ».  

Le magazine Times publie en première page un reportage intitulé : « Mick Jagger se marie en plein tohu-bohu hippie », tandis que Richard Neville, le rédacteur en chef du magazine Oz, qui avait assisté au mariage donne la priorité à un long éditorial exprimant l’écœurement de l’underground britannique de voir son ancien « Street Fighting Man » récupéré de cette façon par la jet-set internationale : « Jagger a une fois pour toutes exclu toute possibilité d’une contre-culture dont la musique serait partie prenante, rapporte cet invité peu reconnaissant. Le « Street Fighting Man » a enfin trouvé sa « Satisfaction » dans tous les clichés les plus pitoyables de la dolce vita capitaliste… Le mythe d’un Jagger, incarnant près d’une décennie durant une rébellion tous azimuts a fini par exploser avec les bouchons de champagne. À l’église Sainte-Anne, Jagger[18] a apposé sa signature sur une déclaration d’allégeance au système, étalant son cul de velours pour la classe dirigeante, se mariant aux valeurs mortelles de la propriété personnelle et de la perpétuation d’une mythologie oppressive ». Le journaliste se permet de demander à Eva Jagger ce qu’elle pense du mariage religieux de son fils : « je n’y avais jamais pensé, je ne suis pas une experte. Je m’imaginais bien que cela allait arriver, mais pas si vite. J’espère que mon autre fils ne deviendra pas une super star ». Joe Jagger répond également aux questions du journaliste : « Oui, j’étais certain qu’il allait se marier car il a un côté sérieux en lui qui ne correspond pas à son image publique. Et son côté sérieux serait bien ressorti un jour, du désir de se marier et de fonder une famille. Il en avait parlé à plusieurs occasions ». Sur la couverture du dernier numéro de « Private Eyes »[19] on voit un montage photo de Mick, de Bianca et du maire Astezan s’adressant à Bianca : « Acceptez-vous de prendre le Mick ? »

Au même moment à Londres, Marianne Faithfull qui n’a pas été invitée au mariage, termine la nuit de noce de Mick et de Bianca au commissariat de police de Paddington : « Ce jour-là, je regagnais la gare de Paddington après avoir vu le docteur Dally qui me bourrait de Valium. Quand j’ai aperçu par la vitre du taxi une grande manchette de journal : « Fête à tout casser pour le mariage de Mick et de Bianca en France », je suis allé droit au buffet de la gare et j’ai avalé coup sur coup trois Vodka-Martini. J’ai été aussitôt saoule. J’ignorais qu’il ne fallait pas boire sous Valium ». Après avoir perdu connaissance dans un restaurant indien, elle se réveille dans la cellule du commissariat. « Je suis sortie en titubant. Je n’avais pas seulement la gueule de bois, j’étais complètement HS ».

Pour son voyage de noce, Mick fait affréter un yacht de 30 m de long. Les jeunes mariés embarquent le lendemain pour une croisière de dix jours en Sardaigne et en Corse, à bord du « Romeang », un monstre de cent vingt tonnes. Un journaliste lui demanda si quelques-uns de ses prestigieux amis allaient les accompagner. « Vous plaisantez ? » réplique Jagger. Mick se fera sans cesse pourchasser par les paparazzis. Pour échapper aux photographes, Bianca et lui sont obligés de se réfugier dans un château isolé, seulement accessible par la mer. Ils y restent jusqu’à la fin du mois de mai. Le 21 mai, Elton John[20] annonce publiquement : « Mick Jagger est la pop star parfaite. Il n’y a rien de plus parfait que Mick Jagger. Il est grossier, il est laid-attirant, il est brillant. Les Rolling Stones sont un groupe de pop parfait. Les Beatles étaient un peu show-biz, mais les Stones, ils s’en foutent ».

Le 12 octobre 1971, Mick et Bianca réfutent des rumeurs de la presse annonçant un divorce immédiat, juste après la naissance de Jade. Le 27 mai 1972 Mick déclare : « Je n’aime pas me sentir marié. Je n’adhère toujours pas au concept de l’unité familiale. Je ne l’approuve pas, c’est tout. Cela ne marche pas. C’est dépassé ». Le mariage de Mick et de Bianca sera partiellement sauvé[21] après qu’un tremblement de terre ait eu lieu au Nicaragua et que les Stones aient annoncé la 10 janvier 1973, qu’ils donneraient un concert de charité au Forum de Los Angeles, une manière pour le couple de maintenir d’une certaine manière leur « profil public » intact.

[1] “Jagger Unauthorized” – Christopher Andersen – Simon & Schuster – 1993

[2] “Les Stones “ – Philipp Norman – Robert Laffon – 1984, 2012

[3] “Mick, The Wild Life and Mad Genius of Jagger” – Christopher Andersen – Gallery Books – 2012

[4] « The Rolling Stones Chronicle – The First Four Decades” – Massimo Bonanno – Plexus, London – 1997

[5] « Exile On Main Street – Une saison en enfer avec les Rolling Stones » – Robert Greenfield – Le Mot et le Reste – 2011

[6] « Mick Weds in Hippie Chaos » – Oz Magazine – Richard Neville – 12/05/1971

[7] « Stones in Exile » – Stephen Kijak – Promotone – 2010

[8] “Mick Jagger – Philip Norman – Robert Laffon – 2013

[9] “And on piano…Nicky Hopkins – The extraordinary life of the rock’s greatest session man” – Julian Dawson – Backstage Press – 2011

[10] « Faithfull: An Autobiography – Marianne Faithfull et David Dalton – Cooper Square Press – 2000

[11] «Every Night’s A Saturday Night – The Rock’n Roll Life of Legendary Sax Man Bobby Keys” – Bobby Keys – Bill Ditehhafer – Omnibus Press – 2012

[12] «Mick Jagger Rocks His Own Wedding Reception in St Tropez- Rolling Stone – 10/06/1971

[13] “Mick Jagger everybody’s Lucifer” – Anthony Scaduto – Berkley Medallion Book – 1974

[14] « J’étais le dealer des Rolling Stones » – Tony Sanchez – Le Mot Et le Reste – 2012

[15] “The Rolling Stones – Fifty Years” – Christopher Sandford – Simon & Schuster – 2012

[16] “«She’s a Rainbow : The extraordinary life of Anita Pallenberg” – Simon Wells – Omnibus Press – 2021

[17] “Keith Richards – The Unauthorized Biography” – Victor Bockris – Omnibus Press – 2006

[18] “The Rolling Stones – The First Twenty Years” – David Dalton – Alfred A. Knopft – New York – 1981”

[19] « That Wedding – Souvenir Issue » – n°246 Private Eyes – 21/05/1971

[20] “The Rolling Stones – An Illustrated Record” – Roy Carr – New English Library – 1976

[21] “Satisfaction – The Story of Mick Jagger” – John Aldridge – Proteus Books – 198é